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La remise en question de nos valeurs

Le chômage fait le malheur de millions de personnes et provoque l’angoisse de tous. Ce « malheur social » est devenu intolérable. Il fait de notre société un corps malade. Il nous faut, décideurs et citoyens, entrepreneurs et salariés syndicats et associations, attaquer le mal sur tous les fronts possibles, avec lucidité et courage car l’emploi reste un facteur important de la dignité humaine et de l’intégration sociale. Mais nous devons aussi nous demander : le moment n’est-il pas venu de changer de logique ? De reconsidérer la place et la nature du travail dans notre société ? De vivre, consommer et travailler autrement ?[1]

Cela implique un examen courageux de nos valeurs de base.

- Quel est le revenu et le degré de consommation qui nous est réellement nécessaire ? Qu’est-ce qui nous rend heureux tout compte fait ? Utilisons-nous notre temps comme nous le voudrions ? Y a-t-il une partie de nous qui aspire à une vie plus simple et plus libre ?

- Y a-t-il de la place dans nos valeurs pour la justice ? En serions-nous venus à vivre individuellement au-dessus des moyens collectifs ? Sommes-nous prêts à reconnaître les intérêts réels qui sont desservis par notre façon de protéger nos propres intérêts ?[2]

Un monde en mutation, la fin d’une logique

Désormais nous le savons : notre société ne traverse pas une crise passagère, elle est en mutation. Une véritable révolution technologique nous conduit à produire toujours davantage, plus rapidement et avec moins de travail humain. La possibilité sans cesse croissante de communiquer, produire et échanger mondialise l’économie : une voiture, par exemple, peut-être constituée de pièces fabriquées dans une dizaine de pays différents ; des ingénieurs de pays très éloignés peuvent travailler ensemble, à la même heure en temps réel, sur le même projet. La coopération internationale, l’imbrication de compétences très différentes (juristes, financiers, commerciaux, ouvriers, ingénieurs techniciens…) ont libéré une créativité et une efficacité extraordinaire et ont rendu caducs des systèmes de production rigides.

Les bouleversements technologiques et la mondialisation souvent mal maîtrisés font apparaître des conséquences graves, économiques, mais surtout humaines. La course effrénée à la productivité, la concurrence sauvage, l’impératif de profit à court terme, le dérèglement des marchés financiers se font souvent au prix d’une relégation de l’humain : délocalisations brutales, exploitation de main-d’œuvre à vil prix et plus particulièrement celle des enfants, irresponsabilité face aux générations futures. L’entreprise elle-même a changé, constituée pour une part d’un noyau d’employés qualifiés ayant un statut reconnu et d’autre part d’un volant de plus en plus grand de travailleurs en situation précaire utilisés selon les besoins du moment. Chômeurs et précaires se comptent par millions, alors même que la richesse nationale produite ne cesse de s’accroître. L’incertitude devant l’avenir, l’impossible maîtrise sur les événements, l’incompréhension même de ce qui se passe font que chacun s’accroche jalousement à ce qu’il croit avoir, et se cramponne à des avantages qui viennent d’hier.

Les jeunes supportent le poids le plus lourd de ces incohérences. Il en est de même entre pays : un continent entier, l’Afrique, qui représente moins de 5 % du volume du commerce mondial, est exclu des échanges économiques ; dès lors, les migrations de main-d’œuvre ne peuvent que s’amplifier.

Les résultats sont là : la fuite dans l’activisme, les consommations sophistiquées, l’argent fou, la perte de sens pour les uns ; l’exclusion, l’absence de perspective, le risque de destruction pour les autres. Certains travaillent trop, d’autres meurent de ne pas travailler. Le travail, longtemps créateur de lien social, contribue aujourd’hui à en accélérer la dissolution, parce que les revenus qu’il procure aux uns déterminent des normes de consommation et de comportements sociaux inaccessibles aux autres. Nous sommes dans un cercle vicieux où nous sommes de plus en plus dépendants d’un mouvement qui déséquilibre la société.

Ces dérèglements graves sont les manifestations de mutations qui nous précèdent et dont nous n’avons pas pris la pleine mesure. Nous sommes appelés à faire droit à nouveaux frais à la justice et à l’équité, à la solidarité et à la fraternité : à vivre l’espérance.

Changer de cap

Les innombrables dispositifs publics d’insertion et d’aide à l’emploi s’accumulent sans que le chômage endémique cesse de croître. Il n’est pas question de négliger la valeur du secours apporté en France par des milliers d’associations à des centaines de milliers de personnes sans travail et dans le besoin, mais on ne peut toutefois plus proposer aux mêmes personnes et durant des années des travaux très précaires ou des paniers-repas : ce type d’assistance permet de gagner du temps, il ne peut pas durer.

N’y a-t-il pas nécessité face au devenir incertain de notre société, d’humaniser notre « vivre ensemble »… ? Le système éducatif favorise l’acquisition des connaissances, mais il est fondé sur un esprit de concurrence ; il cultive l’individualisme alors qu’aujourd’hui plus que jamais, toute création est le fruit d’une collaboration de personnes riches de cultures et de qualifications diverse (artisans, commerçants, entrepreneurs, techniciens, ingénieurs, banquiers, juristes…). La pratique du travail en équipe et l’apprentissage des comportements s’acquièrent dans la famille, dès l’école, à l’université, dans les activités sportives et culturelles, etc.

 

[1] Conclusion du document rédigé suite à un appel signé par seize mouvements et services d’église et par cinquante personnalités (le groupe « Pénélope »), Travailler autrement – travail, chômage, solidarité – des chrétiens s’expriment.

[2] Comité des affaires sociales de l’Assemblée des évêques du Québec, Chômage et pauvreté : partager le travail entre tous.

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