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Todmorden : le réveil d’une ville grâce à l’agriculture urbaine

 

          À n’en pas douter, cultiver fruits et légumes adoucit les mœurs. Voici la description que Moreau et Daverne, deux jardiniers-maraîchers de Paris donnent de leurs confrères au XIXe siècle, dans une époque troublée : « Les maraîchers […] forment la classe de travailleurs la plus laborieuse, la plus constante, la plus paisible de toutes celles qui existent dans la capitale. Quelque dur, quelque pénible que soit leur état, on ne voit jamais le maraîcher le quitter pour en prendre un autre. Les fils d’un maraîcher s’accoutument au travail, sous les yeux et à l’exemple de leur père, et presque tous s’établissent maraîchers. Les filles se marient rarement à un homme d’une autre profession que leur père. Quoique le métier soit très dur, le maraîcher s’y attache. »[1]

 

          Dans son livre Demain, Un nouveau monde,[2] Cyril Dion rapporte qu’à Todmorden, où les Incroyables Comestibles ont développé un système local de nourriture, les incivilités et vandalismes ont chuté de 18 %.

 

          Cyril Dion raconte qu’à Todmorden, une ville moyenne du Yorkshire (14 000 habitants) dont l’industrie dépendait du textile, et qui a subi de plein fouet la désindustrialisation, deux femmes ordinaires, Pam et Mary, ont été à l’origine d’un mouvement qui a transformé la cité. Tim Lang, professeur de politique alimentaire, avait prononcé, au cours d’une conférence, deux phrases qui avaient marqué Pam : « Arrêtez de faire pousser des fleurs, faites plutôt pousser des légumes. »

          Pam était rentrée avec une idée et avait couru en parler à Mary, animatrice socioculturelle de la ville. En quelques jours elles avaient élaboré ce qui deviendra un mouvement international : les Incroyables Comestibles (Incredible Edible).

 

          Leur idée était d’encourager les habitants à planter des fruits et des légumes partout dans la ville, à s’en occuper ensemble et à partager les récoltes, gratuitement. D’après Pam, «  la nourriture est quelque chose qui nous concerne tous, on en parle, on l’achète, on aime, on n’aime pas… c’est une des rares choses à propos desquelles on peut avoir une conversation avec un parfait étranger ». 

          Pour réaliser leur idée, Pam et Mary avaient décidé de réunir des volontaires dans un café, sur le thème : « Voulez-vous participer à construire un autre futur pour vos enfants, grâce à la nourriture ? » Elles attendaient cinq personnes. Ce sont soixante habitant(e)s qui se sont présentés. Des gens étaient venus avec des photos qui dataient de la guerre, quand la ville regorgeait de jardins et d’arbres fruitiers. Pam et Mary leur ont simplement demandé : « Vous souvenez vous de quoi on est capables ? De tout ce que nous avons fait par le passé et qui pourrait nous servir dans l’avenir ? »

          Quelques jours plus tard, une première expérimentation était faite dans le jardin de Mary. Mary et son mari ont arraché les rosiers et y ont planté du chou frisé, de la menthe, des baies, des salades, du fenouil… et la pancarte : « Nourriture à partager ». Des passants se sont arrêtés, intrigués, et quelques-uns ont fini par cueillir, quelques mois plus tard, une framboise ou deux, quand la récolte est arrivée.

          Mary avait suffisamment de graines et, avec des bénévoles, ils les ont semées. De mois en mois, l’équipe s’était agrandie. Progressivement, de petites parcelles et des tronçons entiers étaient devenus des « paysages comestibles ».

 

          Nick Green, docteur en biochimie, ancien entrepreneur et désormais paysan, a participé au succès. Cyril Dion dit que le bonheur irradie de Nick. La profonde satisfaction d’être là où il doit être et de faire ce qu’il doit faire.

          Sous la direction de Nick, les habitants ont planté un peu partout : cours d’école, jardins de la mairie, devant la gare, l’hôpital (où un jardin d’herbes médicinales jouxte l’allée de groseilliers qui jouxte elle-même le parking encadré de cerisiers), le commissariat de police (où poussent maïs, courgettes et autres artichauts) et même à l’agence pour l’emploi où les chômeurs pouvaient repartir avec tomates, courgettes, betteraves, pommes ou oignons sous le bras. En sept ans, plus de 1 000 arbres fruitiers ont été répartis sur toute la commune.

Aujourd’hui, ces arbres servent pour en fabriquer de nouveaux : chaque année, 500 ou 600 nouveaux arbustes sont obtenus. Certains sont donnés, d’autres vendus. En tout 3 000 ou 4 000 arbres ont ainsi poussé et 1 000 ont été plantés. C’est un investissement pour l’avenir. Et maintenant il y a des fruits pour tout le monde.

          Au bout de trois ou quatre ans l’idée a germé de former les jeunes à produire de la nourriture en quantité et de réengager les gens dans les campagnes. 

          Sur un terrain marécageux à dix minutes du centre, Nick, passionné pour le projet, a créé Incredible Farm, une entreprise sociale qui apprend aux écoliers et aux jeunes adultes à cultiver, aux futurs paysans à le devenir, qui sert de pépinière pour les plants et alimente les restaurants de la ville. En quelques années, Nick a appris les principes de la permaculture, décuplé la productivité et formé des centaines de personnes.

          Selon Nick, « le type d’agriculture que nous avons aujourd’hui, c’est un minimum de personnes pour un maximum de machines. Ici, c’est le contraire : plus d’emplois, plus de fermes… L’essentiel de la planète est nourri par de petites fermes familiales souvent bien plus productives que les grosses exploitations. »

          Incredible Farm produit l’équivalent de 14 tonnes de nourriture à l’hectare et Nick pense être encore loin de l’optimum. Pour autant, ils ont réussi à prouver que, même dans des conditions difficiles, il était possible de récolter en quantité, en un lieu réputé impropre au maraîchage. (Autour de Todmorden, la plupart des terres sont détrempées)

          En quelques années, des centaines de personnes ont été formées dans l’Incredible Farm de Nick et des filières entières se sont reconstituées. Sur la place et sous la halle du marché, des bouchers, boulangers, maraîchers proposent à nouveau des produits locaux. Les restaurants de la ville en agrémentent leur carte. Grâce à Pam et Mary, c’est toute la ville, une bourgade du West Yorkshire, qui a repris possession de son système alimentaire. Désormais, 83 % des habitants déclarent acheter une partie de leur nourriture localement, dans un pays qui produit moins de 50 % de ce qu’il consomme.

 

          « Quelques années plus tard, a raconté Pam à Cyril Dion, il s’est avéré que nous avions besoin de terrains pour cultiver. On avait pris des bouts de terrain et des coins de rue ici et là, mais il en fallait davantage. Nous voulions montrer à 15 000 personnes comment elles pouvaient se nourrir et penser par elles-mêmes. » Robin Tuddenham, directeur des services pour le Comté de Calderdale, dont dépend Todmorden, a pris le dossier en main. En quelques semaines, tous les terrains vacants et inconstructibles du territoire (200 000 habitants) ont été répertoriés dans une base de données et mis en ligne sur internet. Désormais, chaque habitant souhaitant en cultiver un n’avait qu’à prendre une photo, déposer sa demande et payer un montant symbolique pour obtenir le droit de l’exploiter. Ce programme s’exporte maintenant aux autres juridictions anglaises.[3]

 

          Dans son ouvrage Sans plus attendre !, Guibert Del Marmol précise que Todmorden adhère au mouvement des villes en transition, lancé par Rob Hopkins en 2006 dans la petite ville de Totnes (8500 habitants), dans le Devon, qui se répand aujourd’hui dans toute l’Europe. L’objectif de Rob Hopkins est de passer de la dépendance du pétrole à la résilience locale. Autrement dit, rendre l’autonomie tant énergétique qu’alimentaire et économique aux cités. Toute la communauté met en œuvre des solutions tendant vers la production locale et la fin des dépendances extérieures.[4]

 

          Cyril Dion rappelle que l’histoire des Incroyables Comestibles a inspiré les gens. En Angleterre d’abord, où plus de 80 villes ont imité Todmorden. Puis en France, où, sous l’impulsion de François Rouillay et Jean-Michel Herbillon, des initiatives ont été lancées dans plus de 400 villes et villages. Niger, Australie, Russie, Argentine, Mexique, Afrique du Sud, Manille… : en tout, ce sont plus de 800 lieux qui ont adopté « la nourriture à partager ».

          Après l’Inde, la Corée, les États-Unis, le Maroc, l’Argentine… les Japonais sont venus trois fois et ont démarré des « canaux comestibles », sur le modèles des « edible green routes » du Yorkshire. Il ne s’agit pas seulement de cultiver de la nourriture, mais encore d’acquérir la capacité de faire ensemble, de partager et de prendre soin les uns des autres, bien utile quand arrivent les ennuis.

          Pam a expliqué à Cyril Dion : « Nous avons perdu la capacité de croire que nous pouvons changer les choses. Parfois nous semblons avoir oublié que c’est nous qui avons érigé ce système, l’économie, la finance, le modèle social… en croyant que c’était la meilleure chose à faire. Ce système est en panne : il suffit d’en ériger un autre ! Ce n’est pas si difficile. Les gens ont le sentiment qu’ils n’ont rien à donner, ils ne savent plus par quoi commencer pour que leur propre monde aille mieux. Mais en démarrant par la nourriture, elles n’auront pas peur. Quand les gens plantent, dans le jardin à l’arrière de leur maison ou en pleine rue, et que cet acte s’additionne à celui de toute une communauté, qu’il permet de partager, alors la confiance revient. Et toutes ces personnes se remettent à croire en elles. »

 

          Le pouvoir de la nourriture avait déjà été constaté dans le passé quand, en 1943, les « Victory Gardens » cultivés par plus de 20 millions d’Américains produisaient 30 à 40 % des légumes du pays. En France en temps de paix et d’abondance, l’autoproduction des particuliers est évaluée à 7 %. D’après Cyril Dion, la mise en place d’une agriculture vivrière et régénératrice des écosystèmes passera par une réappropriation des terres par un très grand nombre de citoyens.[5]

 

[1] Cité dans le livre de PERRINE ET CHARLES HERVÉ-GRUYER, Permaculture, Guérir la terre, nourrir les hommes, Éd. Actes Sud.

[2] CYRIL DION, Demain, Un nouveau monde en marche, Éd. Actes Sud.

[3] CYRIL DION, Demain, Un nouveau monde en marche, Éd. Actes Sud.

[4] GUIBERT DEL MARMOL, Sans plus attendre !, Ker Éd.

[5] CYRIL DION, Demain, Un nouveau monde en marche, Éd. Actes Sud.

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