Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

            La méthode dite de la ferme du Bec Hellouin est développée par Charles et Perrine Hervé-Gruyer dans leur livre Permaculture[1]. En voici les grands principes.

 

Travailler de petites surfaces à la main

 

            Contrairement aux idées reçues, cultiver à la main présente de nombreux avantages et peut se révéler d’une haute productivité. C’est ce qu’a démontré l’approche novatrice intitulée méthode de la ferme du Bec Hellouin, développée dans la ferme. Son objectif est de réaliser une production très intensive, sur une très petite surface cultivée, de manière naturelle et pratiquement sans recours aux énergies fossiles. L’attention portée au sol, le travail à la main, l’intensité des soins prodigués aux cultures, les buttes permanentes, les associations de cultures, l’utilisation de semoirs multi-rangs de précision et d’autres outils innovants sont les principaux facteurs autorisant une production durable, largement supérieure, par unité de surface et par calorie investie, à la production moyenne du maraîchage mécanisé.

 

Le soleil plutôt que le pétrole

 

            Travailler à la main ou en traction animale, c’est utiliser l’énergie du soleil stockée dans les plantes et les animaux dont nous nous nourrissons.

 

Les bénéfices du non-travail du sol

 

Le non-travail du sol est une pratique inspirée de l’observation de la nature : dans les espaces sauvages, aucun engin ne laboure la terre, pourtant celle-ci est efficacement (et gratuitement) aérée et fertilisée par d’innombrables formes de vie. Dans la nature, le taux de matière organique des sols augmente lentement, mais sûrement, jusqu’à l’équilibre ou l’incendie. La matière organique est elle aussi un concentré d’énergie solaire, stockée durablement dans l’humus. Cette augmentation naturelle de la fertilité est réalisée sans aucun apport extérieur.

 

Vers l’autofertilité

 

Dans une forêt, la biomasse produite est généralement le double de celle des espaces cultivés, sans intervention humaine ni intrant. On peut imaginer un système agraire entièrement autofertile, à l’instar des forêts. Il y a une différence profonde entre nos agrosystèmes et les écosystèmes naturels : une partie de la biomasse produite par le paysan est exportée, elle n’est pas rendue à la terre, comme c’est le cas dans un écosystème. Dans nos parcelles cultivées, l’augmentation naturelle de la fertilité doit être suffisante pour compenser la perte de fertilité liée aux récoltes.

L’agriculture naturelle est avant tout fondée sur l’observation du milieu environnant. Les plantes formant les récoltes exportées sont constituées à 98 % environ d’éléments présents en abondance dans la nature : eau, azote, carbone. Les 2 % restants sont des sels minéraux issus de la roche mère. La disponibilité de tous ces éléments dépend de l’intensité des processus biologiques : plus le sol est vivant, plus il aura la capacité de transformer les ressources ambiantes en nutriments pour les végétaux.

Le premier objectif de l’écopaysan va donc être de favoriser un sol aussi vivant que possible. Il doit trouver des solutions bio-inspirées pour :

  • Éviter de détruire la fertilité existante par le nontravail du sol ; par une couverture aussi permanente que possible du sol, qui évite le lessivage et la stérilisation par les ultraviolets ; par le recours aux engrais verts ; en évitant d’exporter trop de matière organique, c'està-dire en restituant à la terre cultivée toutes les parties non consommables des récoltes (feuilles, fanes, paille…) ; en laissant en terre les racines, chaque fois que possible, ce qui favorise entre autres le développement des mycorhizes ; en privilégiant les plantes vivaces plutôt que les annuelles…
  • Augmenter le rythme naturel de création d’humus par la décomposition des paillages déposés sur le sol ; en associant des arbres aux cultures ; par les cultures de microorganismes ; par l’apport de compost, en privilégiant le compostage en place plutôt que le  compostage en tas ; ce dernier entraîne la perte d’éléments fertilisants et des gaz à effet de serre, surtout lorsqu’il est réalisé à chaud.

 

L’engin mécanisé, meilleur ennemi du sol

 

Tout passage d’engin mécanique dans l’humus se fait au détriment de sa fertilité à moyen et long terme.

L’humus, la partie vivante et fertile du sol, est créé par les végétaux, les animaux, les micro-organismes et l’ensemble des processus biologiques à l’œuvre dans le sol. Les vers de terre jouent un rôle déterminant dans l’écologie du sol. En moyenne, les 250 000 vers présents sur 1 hectare ingurgitent chaque année entre 300 et 600 tonnes de terre. En 50 ans, c’est l’ensemble du sol d’une parcelle qui passe par le tube digestif des vers de terre. Aristote disait que les vers sont les intestins de la terre. Il y a (en poids) plus de vers de terre en France que d’êtres humains sur Terre. Grâce à la permaculture, le poids des vers de terre peut atteindre 3 kilos par mètre cube. Or les vers de terre sont vulnérables au passage des engins mécaniques.

 

La fertilité du sol est le fruit de la synthèse entre des éléments d’origine minérale et des éléments d’origine organique, synthèse opérée par des processus biologiques. On estime qu’au moins 95 % des terres arables de la planète ont été créées dans des milieux forestiers.

 

Le sol et détruit par les machines. Les passages répétés d’engins mécanisés se font au détriment de la partie vivante du sol : le sol est déstructuré, tassé, ses horizons sont retournés, les habitats des êtres vivants qui l’habitent sont détruits.

Du fait des quantités importantes d’oxygène qu’il introduit dans les sols, le travail mécanique répété accélère la combustion de la matière organique. Le carbone contenu dans la matière organique s’oxyde et est rejeté dans l’atmosphère sous forme de gaz carbonique, contribuant au réchauffement planétaire.

Lorsque les sols deviennent pauvres en matière organique, ils ont tendance à perdre leur structure et sont plus vulnérables au lessivage et à l’érosion. À cause de l’agriculture industrielle, 5 à 10 millions d’hectares de terres agricoles sont perdus chaque année dans le monde du fait d’une dégradation sévère de l’environnement (sans compter l’artificialisation des sols).

 

Pourquoi labourer ?

 

Les paysans y trouvent un bénéfice à court terme, bien évidemment. La terre arable cultivée a tendance à se tasser. Les adventices sont souvent des plantes pionnières dont la mission est de coloniser les terres à nu. En supprimant tout couvert végétal, l’agriculteur engendre les conditions favorables à leur prolifération. Le labour et le bêchage permettent au paysan, en une opération relativement simple, de décompacter son sol et de le désherber efficacement. De plus, l’apport massif d’oxygène dans l’humus accélère le travail des bactéries et donc la minéralisation de la matière organique, c’est-à-dire la mise à disposition des plantes des nutriments qu’elle contient. L’effet du travail du sol est par conséquent bénéfique à la croissance des plantes cultivées, dans un premier temps. Mais, à moyen et long terme, il se fait au détriment du sol pour les raisons évoquées. 2 milliards d’hectares de terres arables ont été perdus en quatre mille ans de travail du sol.

Le travail mécanisé prive l’agriculteur de la tendance naturelle des sols à accroître leur fécondité. Il faut compenser la perte de fertilité par les labours. Un équilibre a été trouvé à certaines époques et dans certains contextes. Mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. L’alliance de machines de plus en plus puissantes et d’engrais chimiques (qui accélèrent également la combustion de la matière organique), et l’érosion qui en découle provoquent la perte massive des terres arables.

 

Créer de l’humus

 

La culture sur buttes permanentes, qui repose sur le respect de la vie du sol, suppose bien évidemment l’abandon du labour et du bêchage. En imitant, autant que possible les processus naturels, l’écopaysan cherche à concilier deux nécessités en apparence antinomiques : obtenir une récolte abondante et créer de l’humus, améliorer la fertilité du sol.

Dans la nature, le rythme de création de l’humus est généralement très lent (La création de sol est de l’ordre de 1 centimètre par siècle ; deux mille ans sont parfois nécessaires pour créer 10 centimètres d’humus !). Des bonnes pratiques vont permettre de tirer la quintessence de cette tendance naturelle à aller vers plus de fertilité, ce qui est déjà beaucoup.

L’agriculteur peut aller plus loin si l’agrosystème n’est pas à l’équilibre (Un jardinier amateur qui réalise une rotation des cultures par an n’a pas les mêmes besoins en fertilité que le jardinier-maraîcher qui effectue de trois à huit rotations par an). Par des apports de matière organique, par le compostage de ses déchets, il effectue un transfert de fertilité et une valorisation des ressources de sa ferme, au bénéfice de ses espaces cultivés. La création d’humus, par rapport au rythme lent de la nature, peut être multipliée par un facteur 50 ou 100, en fonction de l’importance des transferts de fertilité.

Ces transferts de fertilité méritent une vigilance particulière, car il ne s’agit pas d’appauvrir une partie de la planète au bénéfice d’une autre.

L’objectif d’une ferme permaculturelle est de viser l’autonomie en fertilité (l’autofertilité). C’est plus ou moins facile en fonction des contextes, mais les ressources sont généralement plus nombreuses qu’on ne le pense. L’herbe des allées, des cultures permanentes d’engrais verts, les feuilles des arbres, la taille des haies, les fougères du bois voisin : les espaces entourant les cultures offrent des ressources variées et généralement gratuites, qui permettent de compenser largement la part des cultures que le maraîcher aura exportée.

Des approches novatrices (pour notre culture occidentale) comme les cultures d’EM (micro-organismes efficaces) ou le biochar, permettent de porter un nouveau regard sur la question de la fertilisation.

 

Les avantages de la petite taille

 

L’un des immenses intérêts de la culture sur buttes et de l’approche permaculturelle est que l’on peut produire beaucoup sur un petit espace. Ce petit espace est plus facile à fertiliser qu’un grand – un apport de compost équivalent est plus efficace sur une surface réduite que sur une grande surface. Apporter 10 tonnes de compost sur 1000 mètres carrés est 10 fois plus efficient que la même quantité répartie sur 1 hectare. C’est une raison parmi beaucoup d’autres qui explique pourquoi il est possible d’obtenir des sols d’exception en microagriculture.

Concentrer la surface cultivée permet aussi de libérer de la surface agricole pour d’autres usages – et notamment pour la production de biomasse au bénéfice de la surface cultivée (arbres, animaux, culture de plantes à biomasse, cultures permanentes d’engrais verts…). Cela rend beaucoup plus facilement envisageable l’autofertilité de petites fermes.

 

Des milliards de travailleurs « au noir » 

 

Le jardinier-maraîcher dispose de milliards d’assistants invisibles. Dans la culture sur buttes permanentes, il est épaulé par un nombre quasiment infini de bactéries, de vers, de champignons, de crustacés qui l’aident secrètement et œuvrent pour lui jour et nuit, sans jamais demander de salaire. Le jardinier-maraîcher permaculturel ne cherche pas tant à faire pousser des plantes, il tente avant tout de favoriser l’épanouissement de toutes les forces de vie présentes dans son jardin. Nous sommes les serviteurs des vers de terre. Les agronomes diront plutôt que nous tirons profit des services écosystémiques – services qui sont gratuits et durables.

Pour toutes ces raisons, des pratiques agricoles fondées sur le non-travail du sol peuvent être efficacement réalisées entièrement à la main sur de toutes petites surfaces et atteindre un niveau de productivité que la machine ne pourra égaler. Il est donc possible de glisser d’une utilisation polluante, payante et non durable de moteurs thermiques vers une utilisation propre, gratuite et durable du soleil.

 

Le rapport au temps

 

Choisir de fonder une stratégie agricole sur les services écosystémiques plutôt que sur les énergies fossiles, c’est respecter les rythmes de la nature, les cycles de la vie. Construire un agroécosystème vivant et diversifié n’est pas instantané : il faut des années pour que les arbres déploient leurs ramures dans le ciel, pour que les mares se laissent féconder par de multiples formes de vie, pour que la terre retrouve un parfum et une texture de litière de sous-bois…

Dans un premier temps, la charge de travail sera probablement importante et le retour sur investissement peut-être plus lent à venir. Lorsqu’il crée sa ferme, le jardinier-maraîcher investit dans des haies, des arbres fruitiers, des mares. S’il ne dispose pas d’un capital de départ, il pourra concentrer ses premiers efforts sur la création des buttes de culture (qui peuvent être réalisées en quelques semaines ou mois, quasiment sans investissement : une brouette, une pelle, un râteau lui suffisent) ; les éléments structurant l’agroécosystème (haies, arbres, mares, aménagements hydrauliques doux…), plus onéreux, pourront être réalisés au fil des ans, en hiver notamment, lorsque les cultures requièrent moins de travail. À moyen et long terme, l’agroécosystème devient de plus en plus autofertile résilient et productif, et l’on peut tirer profit des efforts des premières années.

Le principal piège est de se lancer sans aucune préparation technique et en sous-estimant la charge de travail et les contraintes. Il faut rester pragmatique, accepter de vendre sa production et non rêver de vivre du troc.

Travailler à la main, dans les métiers du maraîchage diversifié et l’arboriculture, constitue un choix économiquement pertinent. La forte productivité se conjugue avec des coûts d’investissement et de fonctionnement réduits par rapport à l’approche mécanisée. Mais il ne faut pas négliger le niveau de compétences nécessaire pour atteindre ce résultat. Peu d’outils, mais beaucoup de connaissances : une agriculture fondée sur l’observation et l’imitation de la nature, ou écoculture, est une agriculture de l’intelligence (heureusement très accessible).


[1] PERRINE ET CHARLES HERVÉ-GRUYER, Permaculture, Guérir la terre, nourrir les hommes, Éd. Actes Sud.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :